#RERH2020 - Recruter sur les métiers en tension : la mobilité interne, un levier ?

 

Présentation de retours d’expérience de collectivités qui ont choisi de s’appuyer sur les ressources internes pour faire face aux besoins de recrutement, notamment sur les métiers en tension. Il s’agit d’identifier les potentiels au sein de la collectivité, autrement que par les compétences techniques qui ne sont généralement pas disponibles sur les métiers en tension.

 

Marie-Noëlle DESPLANCHES (directrice de l'université des cadres, chef de projet GPMC - gestion prévisionnelle des métiers et des compétences - Mairie de Paris)

 

Faire de la mobilité interne un outil de prévention des inaptitudes

La Ville de Paris emploie 52 000 agents et opère environ 2 000 recrutements par an. Nous avons identifié une dizaine de métiers particulièrement en tension. Aujourd'hui, il est important de repenser nos politiques RH et nos politiques de recrutement, en nous demandant comment recruter autrement. L’idée est de faire de la mobilité interne un vrai levier de recrutement.

 

A la Ville de Paris, nous avons l’habitude de recourir aux compétences internes en curatif, pour les agents positionnés sur des métiers pénibles. Environ 40 % de nos personnels exercent des métiers pénibles qui génèrent beaucoup d’inaptitudes. Nous devons passer d’une politique de changements subis à une politique d’anticipation, pour faire de la mobilité interne un outil de prévention des inaptitudes. De plus, du fait de l’allongement des carrières, nos personnels auront de plus en plus envie de changer de métier à un moment, pas seulement pour anticiper une inaptitude.

Une expérimentation menée avec la start-up GOSHABA

Ces métiers de la filière achats, finances et comptabilité sont en tension, il est difficile d’embaucher à l’extérieur. La Ville a choisi de recruter autrement sur ces postes, en faisant en sorte que le recrutement ne repose plus sur les compétences mais sur les potentiels, les appétences et l’intérêt du candidat pour ces métiers même s’il est issu d’une filière totalement différente. Ce sont donc les compétences comportementales qui priment mais les compétences métiers sont réintroduites dans le dispositif après le recrutement. Le dispositif de professionnalisation doit être suffisamment robuste pour permettre à ces personnes issues d’autres filières d’exercer leur nouveau métier. Nous avons mis en place un dispositif de pré-recrutement reposant sur l’intérêt des personnes pour ces métiers mais aussi sur leurs potentiels. Il s’agit de penser autrement le recrutement pour ne pas se focaliser sur des compétences métiers qu’on ne trouve pas et pour attirer sur des métiers en manque de candidats.

 

Une cinquantaine de personnes sont entrées dans le dispositif après avoir manifesté leur intérêt pour ces métiers. Elles venaient pour l’essentiel de filières non administratives. L’idée n’est pas d’exclure des personnes mais d’évaluer leur potentiel d’adaptation, leur appétence et leurs compétences comportementales. Aucune de ces personnes n’avait les compétences techniques au départ. Ces agents sont actuellement reçus par les différents services concernés. Ensuite, ils seront recrutés sur les postes à pourvoir ou placés dans un vivier. C’est lorsque les personnes sont appelées sur un poste que le dispositif de professionnalisation est lancé. Celui-ci doit être robuste pour rendre possible la transformation d’un métier vers un autre.

 

Nous avons mené une campagne d’information à l’échelle de la Ville pour présenter notre démarche. Le discours sur la filière achats, finances et comptabilité était très positif car elle n’est pas celle qui attire le plus. Nous avons insisté sur le fait que nous recherchions des candidats qui venaient d’ailleurs : petite enfance, voirie, propreté...

 

Le test n’a pas été mené à l’échelle de la Ville mais d’une seule direction, celle des Finances et des Achats. C’est elle qui, face à ses difficultés pour attirer des candidats, a souhaité recruter autrement. Elle a convaincu ses chefs de service. Une telle démarche ne peut réussir que collectivement, pas sur une injonction de la DRH. Le dispositif de formation est technique, il s’adresse à des personnes qui sont éloignées du métier. Une personne qui a postulé sur un métier d’acheteur devra suivre tout le cursus du métier d’acheteur. La démarche dure plusieurs semaines, pendant lesquelles le service accepte de se passer de la personne.

 

Nous n’avons pas encore réglé la question de dissociation du grade et de la fonction. Dans ce dispositif, nous n’avons pas fait de passage de catégorie C vers A, mais nous aurions pu. La personne doit cependant passer et réussir un concours pour mettre son statut en adéquation avec le métier. Nous essayons d’avancer en dépit des freins, au fur et à mesure.

 

Il faut intégrer le changement de métier dès le recrutement, alors que 40 % de nos agents exercent un métier avec de la pénibilité. C’est dès le départ qu’il faut penser à la mobilité. Plusieurs signes apparaissent avant que l’agent devienne inapte. Il faut donc anticiper, penser à la reconversion et sortir les personnes du métier avant qu’il soit trop tard, tout cela en lien avec les besoins de recrutement en interne. Les personnes ne doivent pas être laissées sans accompagnement pendant plusieurs années.

 

Benjamin STORA (GOSHABA)

Goshaba est une start-up qui a remporté plusieurs concours d’innovation. Parmi les fondateurs de Goshaba, Camille MORVAN est chercheuse en neurosciences et a été professeur à Harvard, au Collège de France et enseigne aujourd'hui à Sciences Po. Quant à Djamil KEMAL et Minh PHAN, ils viennent tous les deux de l’univers du jeu vidéo. Nous travaillons avec le secteur privé et avec le secteur public, sur des postes variés allant du consultant au comptable. Nous avons des réflexions engagées avec Pôle emploi ainsi qu’avec le monde universitaire.

 

Goshaba est né du constat que les outils traditionnels (CV, LinkedIn) posent des problèmes. Les informations peuvent être incomplètes ou fausses. De plus, on ne lit plus les CV de la même manière quand ils sont trop nombreux. On s’attache aussi à de nombreuses informations subjectives (école, hobby...) qui faussent l’objectivité du recrutement. Par ailleurs, les soft skills (attitudes comportementales, qualités...) sont aujourd'hui évaluées par des tests de personnalité, parfois longs et rébarbatifs. Le candidat répond en fonction de ce qu’il pense qui est attendu de lui. De plus, peut-être qu’il s’évalue mal. Celui qui a plus confiance en lui se trouvera favorisé, sans pour autant qu’il soit plus compétent.

 

Goshaba a été créé pour apporter une solution à ces problématiques. Son objectif est de permettre un recrutement sur des critères objectifs : savoir-faire, expérience, savoir-être... Le message que nous passons aux candidats est qu’ils valent beaucoup plus qu’un CV. Nous savons aussi que les compétences comportementales sont transférables d’un service à un autre. Nous avons travaillé avec la direction des Finances et des Achats (DFA) de la Ville de Paris pour améliorer son image et améliorer l’attractivité des métiers en tension. Utiliser un outil simple et ludique donne aussi une image positive.

 

Notre solution est un outil permettant aux administrations de centraliser les candidatures. Avec des managers et des RH notamment, nous définissons ensemble les critères sur lesquels nous allons évaluer les collaborateurs. Le traitement des candidatures se trouve également simplifié. L’outil permet d’envoyer des relances, des demandes d’entretien ou encore des réponses de refus, tout en centralisant toutes les réponses.

 

Le collaborateur évalué se connecte sur un site. La démarche qu’il va suivre lui est expliquée. Les RH définissent en amont ce qu’elles souhaitent mettre dans le questionnaire qui précède les tests. La page d’accueil de l’outil explique au candidat ce qui l’attend. Les jeux cognitifs qui suivent ont été créés à partir de 20 ou 30 ans de recherches en neurosciences pour évaluer les capacités d’apprentissage, l’intelligence analytique, la capacité d’adaptation, etc. Chaque jeu dure cinq minutes, pour un degré de précision de 89 %. Le caractère ludique est important, afin que personne ne soit écarté parce que le dispositif serait trop technique.

 

Frédéric JALIER (directeur général adjoint du département Ressources - Mairie de Pantin)

Au sein de la ville de Pantin, nous avons mis en place, voici cinq ans, une équipe chargée d’accompagner les agents en reclassement. Cette cellule fonctionne très bien. Une fois les agents reclassés, ils continuent à être accompagnés ou suivent des stages de professionnalisation.

 

Un jour, j’ai assisté à la présentation du dirigeant d’une entreprise du champ de l’économie sociale et solidaire, Simplon. Il a expliqué comment elle accompagnait des personnes loin de l’emploi pour développer leurs compétences dans le domaine du numérique. Certaines deviennent développeur à l’issue de la formation. J’ai trouvé cette expérience intéressante. Elle permet de répondre à deux difficultés, à la fois pour recruter sur les métiers informatiques et pour trouver des postes aux personnes en reclassement.

 

Nous avons discuté à la mairie de Pantin de l’idée de faire monter en compétences les personnes en reclassement sur les métiers du numérique. Nous avons pu nous appuyer sur le partenariat que le CIG a développé avec Simplon. Concrètement, nous ne retenons pas pour ce dispositif les personnes en fonction de leur CV mais de leur motivation et de leur appétence au numérique. Nous avons lancé le dispositif avec cinq personnes et une seule a finalement été retenue. Les autres n’étaient pas suffisamment disponibles, principalement pour des raisons médicales. L’agent retenu a suivi un certificat de compétences numériques, avec des méthodes pédagogiques innovantes. Il a travaillé sur un « chef d’œuvre », ce qui est valorisant, en partant du besoin concret d’une entreprise. Pendant toute la formation, un suivi est assuré par un tuteur opérationnel et un tuteur de la DRH, en plus de l’accompagnement de Simplon.

 

Aujourd'hui, nous devons aller plus loin en faisant bénéficier ces formations à plus de personnes. Nous devons aussi les ouvrir au-delà des seuls agents en reclassement. Le risque que l’on prend est de déstabiliser un service le temps que la personne se forme. De plus, une fois formée, elle peut partir ailleurs, dans une société où elle serait mieux payée. Il n’existe malheureusement pas de clause interdisant de partir après une formation. Malgré ces remarques, je trouve le dispositif très intéressant. Il fonctionne.

 

Nous avons créé un poste de chargé de mission. Nous avons parié sur les économies réalisées. Ce chargé de mission accompagnait les agents, travaillait avec les managers et les encadrants. Nous avons ensuite embauché une seconde personne afin d’apporter un soutien psychologique aux agents en reclassement car cette dimension est importante. Concernant le nombre de personnes reclassées chaque année, environ 30 personnes sont en reclassement chaque année et nous en avons reclassé 16 l’année dernière. De nouveaux entrants arrivent régulièrement.

 

Le succès du dispositif ne peut passer que par la possibilité de disposer de débouchés. Les reclassements se font quasi exclusivement sur des postes administratifs. Ceux qui ne veulent pas d’un tel poste se voient privés de possibilités. Nous devons rebalayer le dispositif pour voir comment l’articuler avec les obligations de la PPR. Nous devons respecter le cadre statutaire mais aussi accompagner le reclassement, or ces deux impératifs ne sont pas forcément compatibles.

 

Il est important de travailler sur la prévention. La politique RH doit s’articuler entre prévention et réparation. Il faut aussi trouver un équilibre entre la responsabilité individuelle de chaque agent et la responsabilité collective. L’employeur doit mettre en place les outils qui permettent la mobilité mais chaque agent doit aussi être à l’initiative de sa mobilité, ce qui peut être difficile.

 

Un autre principe à mon sens est qu’il faut toujours essayer. Plus on essaiera, plus on réussira à utiliser la mobilité pour pourvoir les postes en tension.

 

Enfin, il faut trouver l’équilibre entre le « sur-mesure » – avec des accompagnements lourds et personnalisés – et le « prêt-à-porter », comme les dispositifs de formation qui peuvent aussi être utiles.